Environnement, génétique, âge…, de multiples facteurs interviennent dans l’apparition des tumeurs. Sans pour autant tout expliquer.
Les chiffres sont là : chaque année, en France, les cancers font 150 000 morts et touchent 278 000 nouveaux malades. Mais que savons-nous de leurs causes ? A la fois beaucoup et encore très peu. Face aune maladie dite multifactorielle, due une imbrication complexe de facteurs génétiques et environnementaux, il est encore très difficile de s’y retrouver. On sait que tout commence au sein d’une seule cellule par des changements touchant des gènes responsables de la croissance et de la réparation cellulaire. Ces modifications peuvent être le résultat d’agressions extérieures, physiques, chimiques ou biologiques, de facteurs propres à l’individu ou du mélange des deux.
Parmi les facteurs «internes», il y a bien sûr l’âge et le vieillissement de nos cellules. Et puis évidemment notre patrimoine génétique, facteur assez minoritaire, puisque l’on considère, en moyenne, que seulement environ 10% des cancers ont une origine héréditaire. Notre environnement, quotidien ou occasionnel – qui recouvre à la fois ce que nous mangeons, respirons, inhalons, touchons – figure également au rang des suspects. Pour preuve, certains cancers, comme ceux du côlon ou du sein, très fréquents dans nos pays, sont beaucoup plus rares en Asie et en Afrique. Or, chez les populations migrantes au mode de vie «occidentalisé» originaires de ces continents, l’incidence de ces tumeurs devient égale à celles des pays d’accueil.
Bien sûr, impossible de faire l’impasse sur le tabac et l’alcool. Le rapport intitulé «Les causes du cancer en France» (1) remis à l’automne 2007 par les académies de médecine et des sciences et le Centre international de la recherche sur le cancer, avance des chiffres incontournables. Ainsi, la cigarette a une responsabilité avérée dans 33% des décès par cancer chez les hommes (29 000 morts) et 10% chez les femmes (5000 morts). Quant à l’alcool, il intervient dans 9% des décès chez l’homme et 3% chez la femme. Sans oublier les effets souvent potentialisés de ces deux agents.
Une fois ces grands coupables évacués, reste donc les autres causes, «comme l’alimentation, très grossièrement estimée à 30%, incluant les effets de la sédentarité et de l’alcool», précise le Dr Paule -Latino Martel, responsable du réseau Nacre. Reste l’obésité, incriminée pour 2% des décès par cancer chez l’homme et 5,5% chez la femme, les expositions professionnelles (3,7% chez l’homme, 0,5% chez la femme), les hormones pour les cancers féminins (2%) et même le soleil (1%). Viennent ensuite ce que les académiciens nomment les causes «hypothétiques», celles pour lesquelles les preuves solides sont considérées comme «manquantes». Comme la pollution, intervenant selon eux dans moins de 1% des cancers… Une affirmation qui a valu aux auteurs quelques critiques. Reste enfin les causes dites inconnues, qui font dire aux experts que l’on est loin de tout comprendre. Car, «pour plus de la moitié des cancers en France, on ne trouve pas de cause spécifique», peut-on lire en conclusion du rapport.
(1) www.academie-sciences.fr/publications/rapports/pdf/cancer_13_09_07.pdf
Pour en savoir plus
– (En français) Site de l’Institut national du cancer : www.e-cancer.fr
– Site du Fonds mondial de recherche contre le cancer : www.fmrc.fr
– (En anglais) Site américain du National Institute of Cancer : www.cancer.gov
Sciences et Avenir
http://sciencesetavenirmensuel.nouvelobs.com/hebdo/parution/p734/dossier/a370451-les_causes_multiples_du_cancer.html
Ce qu’il faut manger, ce qu’il faut éviter
Si la prévention des cancers passe par une stratégie nutritionnelle globale, les recommandations peuvent être affinées selon l’organe touché par la maladie.
Face au cancer, il est clair que rien ne vaut une stratégie de prévention nutritionnelle globale. Sur ce terrain, tous les spécialistes, cancérologues et spécialistes de la nutrition, sont unanimes.,
Et les règles générales anticancer (ne pas fumer, limiter sa consommation d’alcool, lutter contre le surpoids, avoir une activité physique régulière) régulièrement répétées lors des différentes campagnes d’information auprès du public commencent à être bien connues. Pourtant, certaines disparités géographiques permettent d’en savoir plus sur les raisons de telle ou telle répartition des tumeurs. Et on s’aperçoit que les tumeurs digestives ne sont pas les seules à tirer profit d’une alimentation plus équilibrée. Mais, attention, comme le souligne le Dr Serge Hercberg, directeur de l’unité Inserm U 557 et vice-président du Programme national nutrition santé, «penser se protéger contre tel ou tel cancer mais pas tel autre n’a évidemment pas de sens». Etat des lieux des connaissances.
Attention aux charcuteries
Colon-rectum
Cancer en augmentation partout dans le monde avec près d’un million de nouveaux cas par an 36 000 nouveaux cas par an en France.
Ici les preuves à charge contre les principaux coupables, viandes rouges (1) et charcuteries, continuent de s’accumuler. Le dernier rapport du WCRF (1) recommande ainsi de ne pas consommer plus de 500 g de viande par semaine et d’éviter les charcuteries. Fin décembre, une autre étude européenne est d’ailleurs venue confirmer ces données. En préconisant le «zéro charcuterie», l’avis va plus loin que le Plan national nutrition santé qui plaide pour une limitation.
La sonnette d’alarme avait pourtant été tirée en 2005 avec la très solide étude Epie (1) sur 500 000 personnes suivies dans dix pays européens. Elle avait conclu que pour diminuer de près de 30% le risque de cancer colorectal, il fallait réduire la consommation de viande rouge, d’abats et de charcuterie et augmenter les apports en poisson. Le risque passait alors, selon Epie, de 1,71% chez les carnivores invétérés (129 g par jour pour un homme, 85 g par jour pour une femme), à 1,28% chez les faibles consommateurs de viande (moins de 30 g par jour pour un homme, 13 g pour une femme). Par ailleurs, ce même risque est de 1,86% chez ceux consommant peu de poisson (moins de 14 g par jour) mais de 1,28% chez ceux qui en mangent plus de 50 g par jour.
De nombreuses recherches sont en cours sur les mécanismes à l’origine de ce lien. On a longtemps cru à la nocivité des graisses dites saturées contenues dans les viandes. Or, depuis quelques années, il semble que le coupable se situe plutôt du côté du fer. Combiné aux protéines des muscles, cet élément pourrait se comporter comme un pro-oxydant favorisant la formation d’un cancer. Mais le mécanisme exact n’a pas encore été démontré. On sait seulement que le mode de cuisson intervient, le barbecue étant déconseillé.
A l’opposé, le rôle protecteur des fruits et légumes est lui aussi de mieux en mieux documenté. «Mais il reste difficile de savoir ce qui est au premier plan : leur richesse en antioxydants, en fibres, en folates, leur faible densité énergétique, ou bien tous ces facteurs réunis ?», commente le Dr Serge Hercberg, directeur de l’unité U 557 et coordonnateur de l’étude Suvimax (Supplémentation en vitamines et minéraux antioxydants).
Dans la lutte contre ce cancer, les bénéfices de l’ail et du calcium sont aussi avancés mais là encore, cela mérite confirmation.
En attendant d’en savoir plus, d’autres équipes s’intéressent non pas à la prévention mais au traitement. Exemple avec les travaux de Philippe Bougnoux, de l’équipe Nutrition croissance et cancer de l’Inserm, qui lance un essai chez l’homme visant à démontrer l’intérêt d’une supplémentation en oméga 3 dans le traitement des tumeurs.
L’idée est de les rendre plus sensibles à la radiothérapie. Résultat dans deux ans. A noter : le dépistage organise de ce cancer se met progressivement en place dans notre pays (lire aussi p. 40).
(1) Boeuf, veau, porc, agneau, canard. Seule la volaille dite blanche, le poulet, n’est pas concernée.
Thé vert, lycopène et sélénium
Prostate
– Le cancer le plus fréquent chez l’homme de plus de 50 ans – 680 000 nouveaux cas par an dans le monde – 40 000 nouveaux cas par an en France.
Voici un cancer indéniablement lié à l’âge, aux antécédents familiaux, parfois à l’origine ethnique (plus fréquent chez les Antillais) et dont les liens avec l’alimentation font depuis longtemps débat. Mais selon les dernières données du WCRF, les aliments riches en lycopène et en sélénium seraient bien protecteurs. Ce pigment rouge qui donne à la tomate sa couleur est préconisé pour réduire le risque de ce cancer ou en freiner l’évolution. Le sélénium, également recommandé, se retrouve dans divers aliments (foie, crustacés…).
En 2005, une étude (1), a voulu évaluer l’impact d’un changement de mode de vie. Elle a démontré qu’il était possible de stopper la progression de la tumeur et même de la faire régresser en changeant radicalement de style de vie et de régime. Une équipe californienne a ainsi recruté une centaine d’hommes chez qui le diagnostic de cancer de la prostate avait été confirmé. Deux groupes ont été constitués, les uns modifiant en profondeur leur hygiène de vie, adoptant un régime de type végétarien associé à des exercices d’aérobic et de yoga quand les autres s’y refusaient par convenance personnelle. Après un an de suivi, les chercheurs ont constaté que le niveau de PSA, un marqueur sanguin spécifique du cancer de la prostate, avait diminué de 4% dans le groupe régime alors qu’il avait augmenté de 6% chez les autres !
Fin 2007, une étude japonaise a démontré l’intérêt du thé vert. Ayant remarqué une moindre fréquence de ce cancer chez les Asiatiques, des chercheurs (1) ont analysé les habitudes alimentaires de 50 000 de leurs concitoyens. Ils ont constaté que les risques de développer un cancer de la prostate à un stade avancé étaient de 50% inférieurs chez ceux qui consommaient au moins cinq tasses par jour, par rapport à ceux qui en buvaient moins d’une.
A l’opposé, du côté des facteurs favorisants, les experts du WCRF estiment que des apports trop élevés en calcium (plus de 2000 mg par jour, soit 2 litres de lait ou plus de 2 camemberts…) sont à éviter.
(1) Ornish D et al. J Urol 2005.
Le sel, grand ennemi
Estomac
– 870 000 nouveaux cas par an dans le monde – 7000 nouveaux cas par an en France.
En France, sa mortalité a été divisée par 4 depuis 1950, et son incidence est également en net recul. Plusieurs coupables ont été identifiés. Comme une consommation importante de sel, d’aliments fumés ou saumurés. La nette diminution de ce cancer est souvent attribuée, en partie, à l’apparition du réfrigérateur, qui a rendu inutile le fumage ou le salage les aliments pour la conservation. Au Japon, où poisson cru et légumes en saumure sont très consommés, les taux de cancers de l’estomac restent élevés. En tout cas, le lien avec l’excès de sel ne fait plus de doute. On a pu estimer que le risque de tumeur était multiplié de 1,5 à 6,2 pour ceux qui en font une trop grande consommation. Si la saumure est tombée en désuétude, il reste parfois difficile d’échapper au chlorure de sodium, sournoisement caché dans de nombreux aliments (plats cuisinés…). Et les viandes très salées comme les charcuteries multiplient par deux le risque. En France, la consommation moyenne de sel a certes encore baissé de 5% en six ans, mais elle reste élevée : proche de 8 g par jour quand 5 g sont recommandés.
Côté prévention, on sait que les fruits (tous mais plus particulièrement les agrumes) et les légumes (tous mais davantage les poireaux, les oignons…) ont un effet protecteur. Ces dernières années, le rôle d’une bactérie, Helicobacter pylori, a aussi été identifié. «Pas de bactérie, pas de cancer», affirme le Groupe d’études français des Helicobacter (GEFH), car la tumeur ne se développe qu’en présence de la bactérie. Un traitement antibiotique simple et rapide durant sept jours permet de faire disparaître le germe. Le GEFH préconise de réaliser des biopsies systématiques au cours des fibroscopies gastriques et pas seulement, comme le préconisent les recommandations officielles, chez les personnes dites à risque car ayant un antécédent familial.
Toujours l’alcool
Foie
– 625 000 nouveaux cas par an dans le monde – 6000 nouveaux cas par an en France.
Sous nos latitudes, ce cancer se développe presque toujours à la suite d’une cirrhose du foie due à l’alcool ou aux virus des hépatites B et C. Dans les pays en voie de développement, il est surtout lié à la consommation d’aliments (céréales, légumes ou fruits secs) mal conservés et contaminés par des moisissures qui provoquent la formation de substances cancérogènes : les aflatoxines.
Agrumes et légumes verts
Oesophage
Troisième cancer digestif après l’estomac et le côlon 460 000 nouveaux cas par an dans le monde 5000 nouveaux cas par an en France, la plus forte incidence en Europe.
Ici, alcool, chaleur et tabac sont trois facteurs de risque bien connus. Exemple avec le maté, infusion qui se boit brûlante, très populaire en Amérique du Sud où le taux de ce cancer est très élevé. Ou bien, plus proche de nous, le rituel normand du calvados chaud, à relier aux records de cancers oesophagiens dans le département du Calvados. Une étude française (1) a démontré que l’alcool chaud expliquerait en France deux tiers des disparités régionales de ces cancers. On a longtemps cru que les boisons gazeuses étaient un facteur favorisant; une étude (1) vient d’infirmer cette hypothèse. Le rôle protecteur de la consommation régulière de fruits et de légumes n’est pas très connu et pourtant démontré. Selon une vaste analyse du Centre international de recherche sur le cancer (Cire) (1), 200 g quotidiens de fruits ou de légumes, surtout les agrumes riches en vitamine C et les légumes verts, réduiraient de 30% le risque de cancer de l’oesophage et même de 80% ceux de la bouche et du pharynx. A noter : les personnes souffrant de reflux gastrooesophagien ont tout intérêt à se faire suivre médicalement : l’acidité prolongée favorise le développement d’une tumeur.
(1) Launoy International Journal of Cancer
Allaitement bénéfique, alcool néfaste
Sein
– Le plus fréquent des cancers féminins – 1 million de nouveaux cas par an dans le monde – 42 000 nouveaux cas par an en France.
Ce cancer est lui aussi en augmentation partout dans le monde, même dans les pays d’Asie et d’Afrique jusqu’à présent moins concernés. A noter qu’en France, pour la première fois, l’incidence chez les femmes de plus de 50 ans est à la baisse. Les inégalités de répartition géographique (un cancer pour 12 femmes en Europe, un pour 80 au Japon) font fortement suspecter un éventuel rôle protecteur du thé vert et/ou du soja. En tout cas, le dernier rapport du WCRF martèle deux messages forts : le premier, c’est le bénéfice de l’allaitement prolongé, et cela quel que soit le moment de développement du cancer, avant ou après la ménopause. Le second confirme l’influence néfaste de l’alcool, suspectée depuis quelques années. Un mois après le rapport du WCRF, un autre rapport, français celui-ci, intitulé «Alcool et risques de cancers», émanant de l’Institut national du cancer et du réseau Nacre (voir Pour en savoir plus p. 64), a même chiffré ce risque. Il augmente de 10% si la consommation moyenne d’alcool par jour augmente de 10 g, soit d’un verre.
Pour les femmes déjà atteintes d’un cancer, rien ne se dessine en revanche du côté d’un éventuel régime anti-rechute. Publiés à l’été 2007 dans Jama, les résultats de l’étude Women’s Healthy Eating and Living (WHEL) ont déçu. Ses auteurs ont démontré que le fait de doubler sa consommation en fruits et légumes ne changeait pas grand-chose au risque de récidive. Du côté du traitement, l’équipe Inserm de Tours planche sur une supplémentation en oméga 3, qui pourrait augmenter la sensibilité de la tumeur à la chimiothérapie. Un essai est en cours.
Oui aux végétaux
Poumon
– Plus de 1,2 million de nouveaux cas par an dans le monde (900 000 hommes, 330 000 femmes) – 28 000 nouveaux cas chaque année en France.
Sans surprise, le rôle du tabac est ici essentiel. Car 90% de ces tumeurs se développent chez des fumeurs ou anciens fumeurs (disons fumeurs puisqu’au niveau mondial, 75% des malades sont des hommes, 83% en France). Pour les 10% restant, la cause est à rechercher du côté du tabagisme passif ou des toxiques. On sait aussi depuis 30 ans que les caroténoïdes, substances antioxydantes contenues dans les fruits et légumes, sont bénéfiques. Mais attention, rien ne remplace les produits frais. En 1994, une étude suédoise a consisté a administrer des suppléments de caroténoïdes à près de 30 000 fumeurs : les cas de cancer avaient augmenté de 18% et la mortalité de 8%… L’étude avait été stoppée net. Aujourd’hui, les recommandations sont donc élémentaires : moins de cigarettes et plus de végétaux frais.
Autres organes
Les tumeurs citées ci-dessus ne sont certes pas les seules qu’une meilleure alimentation pourrait aider à prévenir. Mais, en l’état actuel, il est de nombreux cancers pour lesquels le lien avec l’alimentation n’a pas été établi. Par exemple, les tumeurs cérébrales, celles de la vessie, de la vésicule biliaire, des testicules, de la thyroïde, de la peau, ou encore certains cancers hématologiques, comme les lymphomes. Pour ces affections que l’on sait en augmentation, les experts du WCRF n’ont pas conclu.
Sciences et Avenir
http://sciencesetavenirmensuel.nouvelobs.com/hebdo/parution/p734/dossier/a370442-ce_quil_faut_manger_ce_quil_faut_éviter.html
Les 10 recommandations des experts mondiaux
Voici, en résumé, les 10 propositions du rapport 2007 du World Cancer Research Fund pour améliorer la prévention. Elles devraient être adaptées pour la France d’ici à la fin de l’année par l’Institut national du cancer.
1 Limiter les aliments hypercaloriques
Sont concernés les aliments dits transformés, souvent trop riches en gras et en sucres, dont l’apport énergétique est supérieur ou égal à 225-275 kcal pour 100 grammes. Eviter autant que possible les produits issus de la restauration rapide, les aliments tout préparés et les boissons sucrées.
2 Consommer surtout des végétaux
Il est recommandé de construire ses repas quotidiens autour d’aliments d’origine végétale et non animale. Avec en pratique au moins 5 portions de légumes non féculents et de fruits variés par jour (400 g minimum). Sans oublier les légumes secs (25 g par jour minimum). Il s’agit là de favoriser les fibres et les nutriments variés, tous peu caloriques.
3 Etre aussi mince que possible
En pratique, cela suppose de garder un oeil sur son indice de masse corporelle (IMC), défini par le rapport du poids (en kg) sur la taille au carré (en mètre). Les experts proposent de le surveiller dès l’enfance, pour qu’à l’âge de 21 ans, il reste proche des valeurs inférieures (1). Et de recommander de maintenir au mieux ce poids tout au cours de la vie, en évitant la prise de kilos et l’augmentation du tour de taille.
4 Etre physiquement actif au quotidien
Quel que soit l’effort physique fourni, on sait son effet protecteur sur certains cancers et sur la prise de poids. Résultat, la pratique d’au moins 30 minutes par jour d’une activité physique modérée, genre marche énergique, est largement recommandée. Ce qui induit, à l’inverse, la limitation des activités sédentaires (comme regarder la télévision). Et ne dispense pas, à terme et avec l’entraînement, d’une activité plus intense et sportive.
5 Limiter la viande rouge et éviter la charcuterie
Ces deux aliments sont considérés comme des causes convaincantes et probables de cancers. Pour la première fois, les experts recommandent d’éviter la charcuterie et de limiter à 500 g maximum les apports hebdomadaires de viande rouge : il s’agit d’une quantité de viande crue, l’équivalent étant de seulement 330 g de viande cuite. Attention, le panel d’experts précise qu’il n’encourage pas non plus une alimentation totalement dépourvue de viande.
6 Limiter l’alcool
Une recommandation qui concerne tous les types de boissons alcoolisées (bière, vin, apéritifs, digestifs…). Ce qui importe, c’est la quantité d’éthanol consommée. Les experts conseillent au mieux l’abstinence, et dans les autres cas, un maximum de 10 à 15 g par jour d’alcool pour les femmes et de 20 à 30 g pour les hommes. Soit un verre de vin (12 cl), deux au maximum.
7 Limiter le sel
Cela suppose d’éviter les aliments salés ou conservés par salaison. Et de surtout limiter la consommation de plats préparés contenant du sel ajouté afin de parvenir à un apport journalier inférieur à 6 g par jour (soit 2,4 g de sodium).
8 Pas de compléments alimentaires
Pour les experts, les aliments et les boissons restent la meilleure source de nutriments. La prise de compléments n’encourageant pas la consommation d’aliments potentiellement bénéfiques, il vaut donc toujours mieux augmenter la consommation de nutriments adéquats par l’alimentation habituelle.
9 Oui à l’allaitement
Il protège l’enfant mais aussi la mère. Ce rapport est le premier à émettre un avis spécifique sur les bénéfices de l’allaitement, tant sur la prévention du cancer du sein de la mère que pour éviter le surpoids et l’obésité de l’enfant. D’où cette recommandation, visant à prolonger l’allaitement exclusif jusqu’à l’âge de 6 mois, avant d’introduire d’autres aliments.
10 Penser aussi aux malades
Parce que les traitements de nombreux cancers s’améliorent, la durée de vie des malades s’allonge. Le cancer devenant une maladie chronique, les experts estiment que les personnes déjà diagnostiquées, celles en cours de traitement ou en rémission vont vivre assez longtemps pour peut-être développer un nouveau cancer. D’où l’importance pour elles du suivi de ces recommandations
(1) Surpoids si valeur > 25
Sciences et Avenir
http://sciencesetavenirmensuel.nouvelobs.com/hebdo/parution/p734/dossier/a370441-les_10_recommandations_des_experts_mondiaux.html
La prévention est aussi dans l’assiette
Si aucun aliment n’a de vertu magique contre le cancer, de bonnes habitudes alimentaires ont un effet bénéfique. Ce que confirme un récent rapport international.
La fourchette pourrait-elle devenir une arme anticancer décisive ? «Que ton aliment soit ton premier remède», plaidait Hippocrate au IVe siècle avant J.-C. Près de 2500 ans plus tard, on sait que cette affirmation ne vaut pas sur le terrain de la guérison, car guérir en mangeant reste illusoire, mais plutôt sur celui de la prévention.
Les chiffres sont incontournables. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), si aucune mesure n’est prise, le cancer, première cause de mortalité dans le monde, fera 84 millions de morts d’ici à 2015. Pourtant, il est désormais admis qu’en mangeant plus équilibré, on pourrait réduire de 30% le nombre de cas. Il y a déjà onze ans, le premier rapport du Fonds mondial de recherche contre le cancer (World Cancer Research Fund, WCRF) concluait qu’une alimentation saine et équilibrée permettrait d’éviter 100 000 cancers en France. Soit, au niveau mondial, 3 millions de cas !
Une implacable expertise
Fin 2007, cette institution reconnue, un fonds privé caritatif américain, persiste, signe et récidive avec son second rapport (1), remis simultanément, une première, à Londres et Washington. «Du jamais vu», confirmait, lors de sa présentation à Paris, le Dr Elio Riboli, épidémiologiste à l’Impérial Collège (Londres) et coordonnateur d’une vaste étude prospective européenne sur le cancer et la nutrition. Tout en soulignant «l’implacable méthodologie et expertise» de ce colossal travail. Une vingtaine de scientifiques ont d’abord identifié dans la littérature 500 000 études, en ont retenu 22 000 et ont enfin estimé que seules 7000 d’entre elles étaient pertinentes. Cinq années ont été nécessaires pour que ces travaux soient finement décortiqués.
Dans un premier temps, les experts ont déduit de leur analyse des niveaux de preuve plus ou moins convaincants, à charge et à décharge, de l’influence de certains aliments sur le risque de cancer mais aussi de l’exercice physique ou du surpoids (voir tableau pp. 58-59). Ce travail a abouti à l’émission de dix recommandations. Par exemple, éviter carrément les charcuteries, limiter la viande rouge (pas plus de 500 g par semaine), augmenter les apports en légumes (au moins 400 g par jour) et pratiquer au moins 30 minutes quotidiennes d’exercice physique. Le tout en tentant de rester aussi mince que possible ! «Ces recommandations mondiales doivent maintenant être adaptées aux spécificités hexagonales et un groupe de travail a aussi prévu d’actualiser les recommandations françaises», précise le Dr Paule Latino-Martel, directrice de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et coordinatrice du réseau Nacre (1). Des données qui devraient être probablement disponibles avant fin 2008, confirme-ton à l’Institut national du cancer.
Car les liens entre cancer et alimentation sont de mieux en mieux documentés. Même «s’ils restent insuffisamment étudiés», comme le regrette le Pr Albert Hirsch, oncopneumologue et vice-président de la Ligue nationale contre le cancer. On le sait, le cancer a aussi de nombreuses autres causes (lire p. 64). Mais alors, l’alimentation doit-elle être considérée comme une cause avérée ou probable ? «Il reste difficile de trancher», nuance le Dr Latino-Martel.
Peut-être d’ailleurs, «faudrait-il revoir à la hausse ou à la baisse ce chiffre de 30% de diminution possible du cancer», commente le Dr Serge Hercberg, directeur de l’unité Inserm U 557, vice-président du comité stratégique du Programme national nutrition santé et coordonnateur de l’étude européenne Suvimax. Menée pendant plus de dix ans, celle-ci a démontré en 2003 que des antioxydants, pris sous forme de gélules mais à des doses équivalentes à celles apportées par une alimentation équilibrée, permettaient d’éviter un cancer sur trois. «Si, en mangeant mieux, on pouvait déjà diminuer de 15%le nombre total des cancers, poursuit le Dr Hercberg, ce serait énorme. Aucun médicament n’en est capable !»
Prendre très tôt les bonnes habitudes
Le problème qui se pose aujourd’hui est de savoir comment traduire dans l’assiette les connaissances scientifiques. De l’autre côté de l’Atlantique, à Montréal, une équipe de scientifiques, celle de l’Unité de médecine moléculaire de l’hôpital Sainte-Justine, étudie in vitro l’effet antitumoral des composés dits phytochimiques (voir le lexique page 56), ces substances chimiquement actives contenues dans les fruits et les légumes (lire p. 65). Et ces chercheurs de recommander certains aliments dits anticancer au quotidien. Une attitude jugée trop hâtive par certains (lire le débat p. 69).
Au-delà des règles désormais classiques de prévention anticancer (ne pas fumer, limiter sa consommation d’alcool, éviter le surpoids), les données se précisent aussi selon le type d’organe (lire p. 60). Mais il est essentiel de garder en tête que «le» ou «les» aliments magiques n’existent pas. Même si, et heureusement pour nous, il demeure plus facile de modifier le contenu de nos assiettes que celui de nos gènes. Comme le résume avec humour le Dr Serge Hercberg, «on ne choisit pas son grand-père ni sa grand-mère, mais oui, on peut décider de ce que l’on mange». Reste que le 100% prévention est une illusion. Car pour le cancer comme pour les autres menaces, le risque zéro n’existera jamais. Il ne faut pas oublier que l’alimentation est un tout. Et qu’il faut donc manger… varié. Il faut enfin se souvenir de l’importance de la précocité d’acquisition des «bonnes» habitudes alimentaires. Et là, tout reste à faire. Selon les résultats de l’étude nationale Inca 2, révélés en décembre 2007 (1), les 3-15 ans consomment moins de 150 g de fruits et de légumes par jour. Au lieu des 400 g recommandés. Un chiffre que confirmait une autre enquête européenne, Pro-children, réalisée en 2006 auprès de 13 000 écoliers : selon elle, seuls 20% d’entre eux consommaient assez de fruits et de légumes. «Il a fallu 50 ans pour que des mesures soient prises vis-à-vis du tabac. Je veux croire que cela sera plus rapide vis-à-vis de l’alimentation», conclut le Pr Hirsch.
(1) www.wcrf.org
Lexique
ANTIOXYDANT. Substance capable de neutraliser ou de réduire les dommages causés par les radicaux libres, ces éléments responsables de l’oxydation des cellules dans l’organisme.Les principaux antioxydants sont les vitamines (A, C, E), les caroténoïdes, les polyphénols.
ETUDE SUVIMAX. Pour Supplémentation en vitamines et minéraux antioxydants.Lancée en 1994, ce travail de l’Inserm est une source d’informations précieuses sur la consommation alimentaire des Français et leur état de santé.Ses conclusions rendues en 2003 ont démontré l’importance du rôle des antioxydants dans la prévention des cancers.
PHYTOCHIMIQUES. Les composés phytochimiques, du grec phytos, plante,, sont des composés naturels que l’on trouve dans les légumes et les fruits.
Sylvie Riou-Milliot
Sciences et Avenir
Au Québec, la nutraceutique sort de l’éprouvette
Dans ses laboratoires de Montréal, le Dr Béliveau traque les substances phytochimiques anticancer, afin d’établir une carte alimentaire préventive. Reportage.
Ici, au Québec, le Dr Richard Béliveau est célèbre. Pas une émission de radio ou de télévision où il n’ait été invité pour ses deux best-sellers sur le cancer (1) vendus dans 27 pays et traduits dans 19 langues ! Fervent défenseur de la prévention du cancer par l’alimentation, responsable du laboratoire de médecine moléculaire de l’hôpital Sainte-Justine, à Montréal, ce «biochimiste pur et dur», comme il se définit lui-même, est intarissable. Surtout quand il raconte comment des inconnus l’accostent parfois. Tel cet ouvrier, en pleine réparation d’une conduite d’eau sur un trottoir, et qui insiste pour lui montrer le contenu de sa boîte à lunch’, comme on dit au Québec, bref son menu de midi : un sandwich au blé entier au saumon et brocolis et… un thermos de thé vert. Ou cette jeune punk, ancienne adepte du Coca-Cola et de la charcuterie sous vide dès le petit-déjeuner, qui l’assure désormais manger des fruits au réveil. Le Dr Béliveau rayonne alors à l’idée que sa bonne parole ait pu être entendue.
Son concept et ses axes de recherche se nomment «nutraceutique» : «il s’agit de considérer l’alimentation comme une chimiothérapie quotidienne pour lutter contre les microtumeurs que nous développons tous. Face au cancer, de la même manière que la chimiothérapie traditionnelle a sa place lors du traitement, l’alimentation doit se décliner au quotidien, en prévention.» Il est vrai qu’ici, en Amérique du Nord, les tumeurs – mais aussi l’obésité, le diabète ou les maladies cardio-vasculaires – font des ravages. Aussi, pour mieux comprendre les liens entre cancer et alimentation, l’équipe du Dr Béliveau, que l’on sent très soudée autour de son leader, s’est mise au travail il y a déjà dix ans.
Quarante chercheurs sont répartis dans deux unités flambant neuves à Montréal : l’une au sein de l’hôpital Sainte-Justine, l’autre à l’université du Québec (Uqam). Budget de fonctionnement confortable, 12,3 millions d’euros, et un matériel très perfectionné. Dans ces deux unités, la traque des substances phytochimiques anticancer est permanente, avec des manipulations entre chimie et cuisine.
A Sainte-Justine, tout commence avec des cultures de cellules tumorales. Réalisées à partir des biopsies effectuées chez des malades hospitalisés dans le service situé un étage au-dessus du laboratoire, elles sont conservées dans des milieux de croissance adaptés et stockées dans des pièces spéciales. Ici, de vastes congélateurs et derrière leurs portes, à -80 °C, régulièrement empilées sur les étagères, des boîtes. A l’intérieur, des cellules de sein, de poumon, de prostate, de côlon, de pancréas…
Aujourd’hui, Céline Nyalendo, une biochimiste présente dans le laboratoire depuis déjà six ans, travaille sur des cellules de fibrosarcome, un cancer du tissu conjonctif. La jeune femme se saisit d’un flacon contenant quelques gouttes d’un liquide orange, soit environ dix millions de cellules cancéreuses. La manipulation est délicate. Mais il s’agit d’éviter l’arrêt de division des cellules tumorales, à l’étroit dans le trop petit flacon. Pour cela, la jeune femme utilise une enzyme, la trypsine, qui décolle les cellules. Elle transfère la couche cellulaire dans un contenant plus vaste pour que le phénomène de division cellulaire se poursuive. Pas très loin, dans un local où règne un froid tout relatif (+ 4 °C quand il fait -10 °C dans les rues de Montréal…), le Dr Edith Beaulieu, responsable de l’organisation du laboratoire, s’affaire. Ce matin, la chercheuse n’a pas oublié de faire son marché avant de venir travailler. Dans son panier, des brocolis. Déposés sur la paillasse, les légumes attendent d’être broyés par les centrifugeuses. Le liquide vert, un extrait brut, est recueilli et ira bientôt rejoindre ceux de betterave, de chou-fleur, d’orange et de centaines d’autres denrées conservés dans les bonbonnes d’azote liquide à -180 °C.
«Nous travaillons soit à partir de ces extraits bruts, soit à partir d’extraits dits semi-purifiés ou encore plus précisément au niveau moléculaire, un matériel alors fourni par des sociétés de biotechnologies», précise le Dr Beaulieu. Trois approches qui permettent différents degrés de précision. «Nous cherchons d’abord à savoir si, en éprouvette, ces composés ont un effet sur toutes les sortes de lignées de cellules cancéreuses humaines. Si oui, nous cherchons à en extraire la ou les molécules actives. Puis, à en déterminer les mécanismes d’action», détaille le Dr Béliveau.
En pratique, différentes concentrations de tel ou tel phytochimique sont déposées sur les cultures de cellules qui seront ensuite incubées à 37 °C, dans de classiques boîtes de Pétri. «Après environ quarante-huit heures, en les comparant à des cultures dites témoins, on peut calculer l’éventuel taux d’inhibition de croissance des cellules cancéreuses, détaille le Dr Béliveau. Quand ce taux dépasse les 75% d’efficacité, nous nous y intéressons de plus près.»
Après plusieurs années de travail, les chercheurs estiment être en mesure de recommander certains aliments pour une consommation quotidienne (voir l’encadré p. 68). «Un régime alimentaire équilibré peut représenter un cocktail d’environ 10 000 composés différents par jour, soit 1 à 2 grammes quotidiens de ces substances», affirme le chercheur. Mais comment arrive-t-on à une telle précision ? «En croisant les études dépopulation qui, d’un côté, permettent d’évaluer les apports alimentaires hebdomadaires, et d’autres travaux plus fins, chimiques, comme ceux permettant de calculer les taux d’inhibition de croissance des cellules cancéreuses», détaille le chercheur. Aujourd’hui, aucune molécule issue de l’alimentation n’échappe au screening. Ici, on teste tout ou presque. Même le très local sirop d’érable !
Tout a commencé avec les premières publications scientifiques suggérant que des substances comme les catéchines du thé vert, le resvératrol du raisin ou encore le sulforaphane du brocoli étaient capables d’inhiber l’angiogenèse, c’est-à-dire la formation de nouveaux vaisseaux déclenchée par la tumeur pour assurer sa survie. «Cette période correspond pour moi à un moment où plusieurs grains de sable se sont immiscés dans la théorie du tout-génétique, très répandue à l’époque. Bref, cela a été un vrai déclic», se souvient le Dr Béliveau. Depuis, les connaissances ont évidemment progressé. «On sait aujourd’hui que l’apparition d’une tumeur n’a rien de spontané. Le processus s’échelonne sur plusieurs années. Il faut donc agir quand les cellules sont encore vulnérables.» Comment ? En nous nourrissant mieux. Et en comprenant comment notre alimentation nous protège. Tel est bien le credo de ce quinquagénaire, titulaire de la chaire de prévention et de traitement du cancer de l’université du Québec, à Montréal. «Les aliments sont une source insoupçonnée d’agents anticancéreux, poursuit-il. Les apports des fruits et des légumes vont bien au-delà des simples vitamines. Le rouge de la framboise, l’odeur de l’ail, l’astringence du thé sont des caractéristiques directement liées aux composés phytochimiques contenus dans les aliments», détaille-t-il. Et bon nombre d’entre eux pourraient se révéler des anticancéreux potentiels. Comme l’épigallocatéchine gallate (EGCG), la catéchine phare du thé, dotée d’une forte activité antitumorale. Les scientifiques canadiens ont démontré que, de toutes les molécules d’origine nutritionnelle identifiées jusqu’à présent, l’EGCG était la plus puissante pour bloquer le facteur de croissance des néo-vaisseaux sécrété par les cellules cancéreuses.
Autre axe d’intérêt, la canneberge et le bleuet, des baies fréquemment consommées en Amérique du Nord. «L’un des composés du bleuet, la delphinidine, bloque l’action de substances qui contribuent à la croissance de certains cancers, exactement comme un médicament anticancer très puissant, le Gleevec (1)», explique le chercheur.
En fait, l’intérêt pour tous ces phytochimiques est récent car, comme le remarque le Dr Béliveau, «oncologues, nutritionnistes et chimistes commencent juste à travailler ensemble». Et pour le Dr Denis Gingras, biochimiste, bras droit du Dr Béliveau et coauteur des deux ouvrages, il devient même parfois un peu difficile de s’y retrouver. «Sur ce thème de l’alimentation et du cancer, nous faisons face à une véritable montée en puissance des travaux dans le monde. Résultat, tous les matins, je dois faire le tri dans plusieurs dizaines de nouveaux articles.» Actuellement, les épices ont incontestablement la cote. Comme le curcuma «De très nombreux travaux indiquent que ses propriétés anticancéreuses sont directement liées à leur capacité à bloquer l’inflammation», explique le Dr Béliveau. Qui a démontré, in vitro, que l’ajout de poivre décuplait l’action de la curcumine. D’autres travaux menés dans le laboratoire de Sainte-Justine ont aussi démontré que l’addition de curcumine à l’EGCG avait un effet sur des cellules cancéreuses irradiées, soit en multipliant presque par quatre le taux d’inhibition de croissance cellulaire, soit en augmentant l’efficacité du traitement. De là à conclure que tous les patients sous radiothérapie tireraient avantage à forcer sur le curcuma serait une conclusion hâtive. Car ces travaux n’ont jamais été menés chez l’homme mais seulement sur des cellules tumorales ou bien parfois chez des souris. Il serait tout aussi réducteur de ne s’intéresser qu’à telle ou telle molécule, le Dr Béliveau en est bien conscient. Une catéchine unique, un seulpolyphénol et même la curcumine poivrée n’est pas omnipotente. «Toute la difficulté réside dans l’étude de la synergie d’action des différents composés, difficile à démontrer en pratique», note le Dr Béliveau. Qui ne désespère pas de mener à bien son projet, le Nutrinome, une sorte d’inventaire du profil anticancer de chaque fruit et légume. Comme cela a été fait pour les gènes et le génome.
En attendant, il s’emballe pour d’autres travaux. Très loin du contenu de nos assiettes, face cette fois aux tumeurs cérébrales, les glioblastomes, son équipe a récemment découvert une molécule qui pourrait agir comme un cheval de Troie en permettant aux médicaments de mieux passer la barrière hémato-encéphalique. D’où l’espoir d’un meilleur traitement pour ces tumeurs difficiles à traiter. Or, le Dr Béliveau vient de l’apprendre, les premiers résultats des essais menés chez l’homme sont très encourageants.
En tout cas, celui qui avoue un fort penchant pour le Japon et l’art du combat des samouraïs ira jusqu’au bout. Car il a depuis longtemps déclaré la guerre au cancer.
(1)Les Aliments contre le cancer, Solar, Cuisiner avec les aliments contre le cancer, Robert Laffont.
Une journée «nutraceutique»
1/2 tasse de choux de Bruxelles
1/2 tasse de brocolis (ou chou-fleur, chou)
1/2 tasse d’oignon (ou échalote)
1/2 tasse d’épinards (ou cresson)
1/2 tasse de soja
1/2 tasse de bleuets (ou framboises ou mûres)
1/2 tasse de jus d’agrumes
1/2 tasse de raisin
1 cuillère à soupe de tomate
1 cuillère à café de curcuma
1 cuillère à soupe de graines de lin fraîchement moulues
1/2 cuillère à café de poivre noir
3 tasses de thé vert
20 g de chocolat noir
2 gousses d’ail
1 verre de vin rouge
Assiette type mise au point par l’équipe du Dr Béliveau, exprimée en apports quotidiens recommandés (1 tasse = 250 ml).
Sylvie Riou-Milliot
Sciences et Avenir
Il n’y a pas de recette miracle
Peut-on donner des conseils alimentaires sur la foi de recherches en laboratoire ? Non, répondent deux spécialistes.
Entre les données de la recherche fondamentale et l’assiette, il y a un grand pas, qu’il ne faut pas franchir trop rapidement. Cela pourrait pousser à commettre des erreurs. Un exemple : il a été montré dans les années 1990 que le bêta-carotène avait un effet antioxydant protecteur. Que les individus ayant une concentration plasmatique élevée en bêta-carotène avaient moins de cancers que les autres. Alors des études ont été lancées. On a donné des doses de bêta-carotène trois à quatre fois supérieures à la normale à des fumeurs. Au bout de quelques années, les trois grandes études ont dû s’interrompre car tous les chercheurs avaient observé que ceux qui avaient pris des suppléments de bêta-carotène déclenchaient davantage de cancers du poumon. Les nutriments évitaient la mort des cellules, y compris des cellules cancéreuses !
Il faut donc être prudent pour passer de l’éprouvette à l’animal, de l’animal à l’homme. C’est tout le problème de cette nouvelle tendance à la «nutraceutique», qui veut considérer les nutriments de façon isolée et décomposée pour en analyser les effets. C’est intéressant d’un point de vue de la recherche fondamentale, ça ouvre des pistes de réflexion mais cela ne correspond pas à la réalité de ce qu’il se passe lors de la prise alimentaire. Tout d’abord, au sein d’un aliment, les nutriments ne sont pas tous seuls.
Ils sont en interaction entre eux et avec la matrice (fibres, acides gras…) de l’aliment. Ils y subissent des oxydations, des transformations. Lorsqu’ils sont ingérés, ils ne sont pas toujours parfaitement absorbés ou assimilés, ensuite ils entrent en interaction avec un organisme entier qui a sa susceptibilité génétique propre, puis interagissent avec différentes populations de cellules. Difficile dans ce cas de prévoir quelle action réelle finale aura un nutriment de base sur telle cellule du corps. On ne peut pas dire, par exemple, sérieusement, «mangez des framboises», pour éviter le cancer parce que l’on a montré que l’acide ellagique, présent dans les framboises, avait une action antimutagène sur des cellules in vitro ! Pour nous, nutritionnistes, la seule recommandation de bon sens est de dire : si votre alimentation comprend plus d’éléments favorables et moins d’éléments défavorables, alors vous aurez moins de risque de développer un cancer. Point. On ne s’aventure pas à donner de recette miracle.
Depuis quinze ans, on sait, par exemple, que le calcium non absorbable a un effet inhibiteur sur les tumeurs du côlon dans des modèles animaux. Nous disposons même d’essais thérapeutiques indiquant un effet de prévention sur la récidive des polypes adénomateux du colorectum. Toutefois, on soupçonne un possible effet sur l’augmentation de risque du cancer de la prostate. En conséquence, tant que le bénéfice sur l’organisme n’a pas été montré par des essais cliniques, on ne va pas prescrire des suppléments de calcium à la population ! Alors, comment obtenir des conclusions quant à l’alimentation ? Il est pratiquement impossible de réaliser une étude alimentaire contre placebo (car il n’existe pas de steak ou de légumes placebo !), il faut donc cumuler des centaines d’études, sur des milliers de gens, dans différents pays, menées par différents chercheurs, pour essayer de dégager une tendance, une cohérence des résultats.
Grâce à une étude menée sur 40 000 personnes, on a pu ainsi conclure que la consommation de viande rouge et de charcuterie était associée à une augmentation du cancer du côlon, douze ans après. Fort de ces résultats, on peut se retourner vers les études in vivo pour essayer de comprendre le mécanisme. Les études épidémiologiques classiques posent néanmoins un problème, elles sont rétrospectives. On demande à des malades atteints de cancers et à des gens sains (groupe contrôle) ce qu’ils ont mangé ces dix dernières années. Se rappeler si on a fumé ou si on a allaité son bébé, c’est faisable. Se souvenir si on mangeait de la viande rouge en 1998 est moins évident. Ces études sont donc de plus en plus remplacées par d’autres, prospectives, plus complexes, mais plus valables. Nous avons lancé depuis 1993 la plus grande étude jamais menée, Epie, couvrant dix pays européens. 521000 sujets sont suivis, toutes leurs données collectées ainsi que des échantillons de sang desquels sont extraits des biomarqueurs alimentaires. C’est par de telles études que l’on pourra obtenir des certitudes quant au lien alimentation et cancer.
Eléna Sender
Sciences et Avenir
http://sciencesetavenirmensuel.nouvelobs.com/hebdo/parution/p734/
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